Zurkhâneh « maison de la force »
Gymnases traditionnels
Les zurkhâne iraniens -littéralement « maison de la force » - sont des gymnases traditionnels où l’on pratique depuis plusieurs siècles un ensemble d’exercices gymniques et de musculation appelé, depuis 1934, « sport antique », varzesh-e bâstâni.
Dans ces gymnases, on enseignait surtout l’art de la lutte turco-persane, appelée en Iran lutte pahlavâni, en souvenir du titre attribué aux champions de ce sport. Contrairement à la Turquie, où existe un cercle de lutteurs traditionnels professionnels, les Iraniens ne pratiquent cette forme de lutte qu’accessoirement, lorsqu’une compétition traditionnelle est en vue. Une fois que celle-ci a eu lieu, ils retournent à leur entraînement de lutte libre.
Habituellement, les athlètes exécutent leurs exercices par groupe de dix ou quinze dans une fosse d’exercice octogonale, le gowd, au rythme du chant d’un maître de musique, le morshed. Celui-ci est assis sur un podium, le sardam, et s’accompagne d’un instrument de percussion, le zarb, et d’une clochette, le zang. Les athlètes des zurkhâne pratiquent plusieurs activités sportives : culturisme, haltérophilie, art martiaux, etc.
Espace et hiérarchie
Les athlètes, lorsqu’ils se réunissent dans un zurkhâne traditionnel, forment un cercle à l’intérieur de la fosse, selon une organisation hiérarchique fondée sur l’ancienneté. Les vétérans, pish-kesvat, occupent les places d’honneur —les plus proches du maître de musique— à l’intérieur du cercle, les débutants sont les plus éloignés du podium du morshed. Les regards des athlètes convergent vers le maître de la séance, le miyândâr, qui se trouve au centre de la fosse. Pour les grandes occasions —ou les compétitions—, les athlètes revêtent le tonbân; pour leurs exercices quotidiens, ils portent un carré de tissu de couleur rouge noué à la taille, le long. Petit à petit, la vieille classification qui organisait les élèves en « débutants » (nowche) et « apprentis » (nowkhâste) est tombée en désuétude au profit des catégories d’âge.
Outils et exercices
Les outils de musculation que retient la tradition actuelle (certains, attestés dans les textes, ont aujourd’hui disparu) sont au nombre de quatre : des quilles en bois appelées mil (« massue indienne »), qui pèsent de deux à vingt kg, se manient par paire; des arcs de fer, les kabbâdehs, dont le poids est fixé à douze ou seize kg, que l’on agite alternativement de gauche à droite au-dessus de la tête; des panneaux de bois, les sang, d’environ quarante kg chacun, que l’on manie également par paire, couché sur le dos; une petite planchette de bois munie de pieds, le takht-e shenâ, sur laquelle l’athlète effectue avec les bras divers exercices de tractions.
Les origines et l’évolution des formes de ces instruments sont des faits complexes, difficile à étudier. Il n’est guère probable que leurs formes soient la marque d’antiques armes de combat (à l’exception notable des mil et du kabbâde). D’autres mouvements d’assouplissement et d’endurance sont accomplis sans l’aide d’aucun instrument, tels les impressionnants exercices giratoires auxquels les athlètes tentent de se livrer les uns après les autres, selon un ordre hiérarchique qui va des débutants aux vétérans.
Éthique et morale
Les défenseurs les plus acharnés de la lutte pahlavâni affirment que l’on enseigne dans les zurkhâne une philosophie de la vie qui trouve son origine dans une vieille tradition morale et spirituelle maintes fois recomposée, la javânmardi, la chevalerie mystique islamique. Exclusivement réservé aux hommes pour d’évidentes raisons de pudeur, le zurkhâne est un lieu où sont surtout exaltées les qualités de l’identité masculine traditionnelle (la mardânegi), pré-requis de la javânmardi mais que beaucoup confondent avec l’idéal de la javânmardi elle-même.
C’est ainsi que la séance fournit l’occasion de rappeler les devoirs des uns et des autres : devoirs de générosité, d’entraide, de courage, de fidélité, de respect des aînés et de la parole donnée… Autant de moments de prises de paroles valorisantes impliquant athlètes et spectateurs, pendant lesquels des groupes d’amis soudés ont le plaisir de célébrer les valeurs qui les fédèrent. Moments où tout un chacun peut trouver le réconfort d’une vraie solidarité pour peu qu’il en soit jugé digne. Le zurkhâne est donc un lieu d’intégration et de distinction sociale où peuvent s’affirmer certains liens sociaux et qui permet d’exercer son corps.
Le renouvellement d’une certaine pratique
Entre 20 000 et 30 000 athlètes s’y exercent encore quotidiennement. Téhéran compte près d’une cinquantaine de gymnases. Il n’y a guère de village d’Iran qui n’en comprenne au moins un (à l’exception notable des régions bordant le Golfe Persique).
Poussé par la nécessité de séduire les jeunes, avides de gloire et de reconnaissance, le sport antique s’est donc adapté, peu ou prou, aux goûts des nouveaux athlètes qui préfèrent les exercices d’agilité (mouvements giratoires, jonglerie…) à ceux de force pure (bouclier de bois et arcs de fer, etc.). À l’occasion des nouvelles compétitions par équipe, qui viennent compléter les vieilles compétitions par discipline, les miyândâr et leurs hommes préparent des exercices synchronisés qui se révèlent être de véritables chorégraphies dont les valeurs techniques et artistiques sont dûment appréciées et notées.